Je ne peux me défaire, quoiqu’il arrive, de position d’étranger, mais d’étranger blanc, voyageur, riche. Mais je peux décider d’être plus qu’un touriste, un consommateur des ressources des pays que je traverse. Ce jour là, j’ai compris que prendre tous ces gens en photos, leur accorder du temps, de l’attention et de la douceur, c’était entériner leur dignité.
Quelle leçon me traverse alors. Quelque chose de simple mais de si pur, de parfaitement évident mais qui vous change, un peu mais définitivement, le jour où vous le sentez dans vos tripes : cette vision des milliards de vies et de destins différents, de points de départs variés, mais d’une dignité commune, d’une légitimité de chacune de nos vies sur cette terre, et de sa sainteté, qui que l’on soit. A entendre les informations tous les jours j’ai presque l’impression qu’on l’oublie, que c’est un concept dans un coin de nos têtes.
La vie est faite ainsi et tout le monde peut le comprendre : nous vivons tous dans nos propres cercles, entourés de gens qui partagent nos cultures, nos valeurs. Nos relations, au niveau mondial, sont de grands diagrammes de Venn qui ne se croisent peu. Psychologiquement, nous ne pouvons concevoir, avoir de l’empathie pour toute la misère du monde, chacun porte déjà son propre fardeau, ses propres préoccupations. Mais tout de même, parfois, cette piqure de rappel a du bon.
Elle eu un effet complètement libérateur sur moi : j’avais résolu ma question éthique. Je n’allais pas dans ce bidonville par voyeurisme malsain, mais au contraire presque investi d’une mission, d’un devoir, à ma toute petite échelle. Qu’importe de ce que deviennent les photos, qu’elles soient vues, ou pas. Mais toute cet après midi, mon objectif braqué sur des centaines de visages, j’ai essayé de rappeler aux gens tout ce qui faisaient qu’ils étaient beaux et dignes et égaux à moi et à tous les autres, même si mes vêtements pouvaient être plus propres (quoique…), même si ma vie pouvait sembler être aux antipodes des leurs. Une grand mère m’a tenu la main pendant 10 minutes pour m’amener à son petit fils, né légèrement difforme, pour que je le prenne en photo. Elle le tenait dans ses bras, pleine d’amour, elle voulait partager cette amour et que je lui donne, par un bruit d’obturateur, une importance supplémentaire. Elle pourra lui raconter, j’espère plus tard, qu’un français avait fait tout ce chemin pour venir le prendre en photo, comme tous les autres enfants autour de lui, et j’espère qu’il comprendra qu’il vaut autant que tous les enfants autour de moi, partout.