Peu de fêtes sont célébrées autour du monde autant que le nouvel an. Ce passage symbolique, qui nous permet à la fois de nous projeter en avant et de contempler le passé, scande nos vies à tous. Au Japon particulièrement, c'est un grand moment de rassemblement.
Si Noël est la fête des amoureux (et de KFC), le nouvel an, Ōmisoka, se passe en famille. Accompagnés de notre famille d'un soir, rencontré à l'auberge pendant le dîner (une sorte de soupe avec un mochi au fond, cette boulle de pate de riz), nous nous sommes rendu dans un temple, pour sonner une grande cloche.
Japon oblige, une queue mène à l'annexe du temple qui abrite la cloche. Un petit kiosque en bois, dont le toit supporte la cloche, qui sonnait toutes les minutes.
Le nouvel an japonais se veut plus un évènement global qu'un instant particulier : aussi, lorsque minuit sonna, nous fûmes les seuls à nous souhaiter gaiement une bonne année. Les japonais, eux, n'avaient même pas remarqué le passage à la nouvelle heure. On retrouve ce rapport à la journée qui est plus définie par le sommeil que les heures dans les horaires d'ouvertures des restaurants. Combien de fois j'ai vu des restaurants ouverts de 18 à 25 heures, voire 26 !
Quand nous sonnons la cloche, la pluie a commencé depuis quelques minutes : parfaite excuse, s'il en fallait, pour aller se réfugier dans le temple à côté de la cloche. Là, on y découvre des croyants qui recopient des bénédictions. Impossible pour nous d'y résister, bien sûr.
N'est pas calligraphe qui veut. Nos mains habitués aux stylos ne savent pas tenir un pinceau de la bonne manière pour tracer leskanji, les idéogrammes que les japonais ont empruntés aux chinois. Nos amis de ce soir, chinois, ont eu bien moins de mal. Pour nous, des dessins abstraits que l'on s'efforce de recopier, pour eux du sens, qu'ils s'approprient, et transforment. Si les chinois ne peuvent pas parler japonais, ils le comprennent sans mal à l'écrit.
Ce "nouveau" nouvel an japonais nous a ravis. Si le premier janvier suit inlassablement le trente et un décembre, il est bon de bousculer un peu ses traditions. Après tout, n'est-ce pas le principe des bonnes résolutions ? Reconnaître l'année passée et ses habitudes, et savoir s'en défaire.
Alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Si le rendez-vous au temple pour faire sonner la cloche est une tradition bien japonaise, il en existe une autre spécifiquement kyotoïte qui nous rendait curieux.
Le Okera Mairi est le festival du premier feu de l'année au temple de Yasaka, celui au bout de Gion, le quartier des geikos (connues sous le noms de geisha en dehors de Kyoto).
Bien plus que pendant le solennel épisode de la cloche, c'était une vrai ambiance de matsuri qui nous attendait à Yasaka. Tous les éléments des fameux festivals japonais étaient réunis : beaucoup de monde, beaucoup de lanternes (Yasaka est connu pour son temple central, entouré de lampions), des échoppes partout et cette bonne humeur si communicative. Il y avait une telle foule que tout Gion était fermée à la circulation ! Impressionnant, compte tenu de la taille de l'artère principale.
Revenons à l'Okera Mairi. Cette tradition ancestrale date de l'époque où le gaz dans les maisons n'existait pas, où la cuisine se faisait au feu de bois. L'okera est une plante médicinale qui est brûlée dans deux lanternes à deux extrémités du temple. Leur fumée est connue pour chasser les mauvais esprits de l'année passée et apporter prospérité pour l'année à venir.
Les japonais utilisent une corde de bambou pour recueillir la flamme. C'est cette corde, qu'ils gardent embrasés en la faisant constamment tournoyer, qu'ils ramènent ensuite chez eux pour préparer le premier feu de l'année, celui qui sert à cuisiner le zoni, cette soupe au mochi traditionnelle du nouvel an.
Vivre ce moment unique de la culture japonaise nous a permis d'ouvrir les yeux, encore une fois, sur la relativité de nos cultures. Dans un contexte de constant repli des nations sur elle-mêmes, faire l'expérience de la différence, bousculer ses habitudes, décrypter les superstitions et les comportements, sont autant de remèdes contre la bêtise. J'ai trop rencontré de personnes qui jugent les cultures les unes contre les autres, se recroquevillent vers le familier, quand le monde offre tous les jours son lot de merveilles.
Voyager c'est refuser l'exotisme comme le connu, c'est comprendre que rien n'est bizarre ni farfelu, accepter que nous sommes citoyen de la Terre et de l'univers. A une heure où les nations semblent tant compter (j'écoute beaucoup les informations en ce moment), ce voyage où se croisent geisha australiennes, touristes chinois, collègues allemands, me renvoi surtout à notre humanité commune, et quoi de mieux que ce nouvel an, polyglotte et si universel, pour s'en rappeler ?