A chaque récit son objectif by Adrien Le Falher

Je suis très heureux de sortir de mon tirroir ce petit fascicule, nommé "A chaque récit son objectif", que j'ai écrit en 2014. Mise en forme de mes recherches sur l'optique et de ses usages au cinéma, il couvre les différentes propriétés des objectifs et l'effet sur le rendu du l'image qu'ils produisent. 

J'ai pris beaucoup de plaisir à rassembler ces savoirs et à les transmettre d'une manière que j'espère à la fois instructive sans être trop technique. Je la partage donc aujourd'hui avec vous, afin que vous puissiez vous aussi vous instruire sur ce sujet qui me passionne. 

Déjà Vu No°1 by Adrien Le Falher

Déjà Vu est un web magazine de photographie contemporaine. Il réunit des photographes du monde entier, en créant une communauté qui grandit à chaque numéro, par un système unique : en effet, chaque photographe invite un artiste qui l'inspire pour le numéro suivant. Chaque artiste ayant déjà présenté leur travail dans Déjà Vu peut à tout moment présenter une nouvelle série dans un numéro suivant. 

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Déjà Vu is a web magazine featuring contemporary photographers. It features photographers from all around the world, creating a community that grows with each issue, thanks to a unique system: indeed, each photographer can invite another artist that inspire them for the following issue. Every artist that has already been featured in Déjà Vu can, at any time, present another series of work in the following issue.

ROYGBIV : Textures and colors of Hong Kong by Adrien Le Falher

Des oranges, une fissure, une jonque… Hong Kong aura toujours pour moi un parfum particulier, une place unique dans mon coeur. Plus colorée que Tokyo, plus grouillante que New York, cette ville m’inspire plus qu’aucune autre. 
On connait le grand panorama du Victoria Peak, cet enchainement de bâtiments de verre, modernes et propres, mais il faut être allé à Hong Kong pour découvrir les allées entre les immeubles. Je me rappelle toujours avec nostalgie des bouchers et de leurs morceaux de viandes pendus aux crochets dehors, des marchés aussi larges que les rues de Mong Kok, et surtout, de la couleur de tous ces bâtiments. Là où beaucoup de villes s’habillent du gris du béton, Hong Kong rayonne de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, qui lentement se fanent. 
Lorsque j’y suis retourné en 2016, je ne pouvais pas me contenter des points de vues typiques. Il me fallait donner ma vision personnelle de la perle de l’Orient, dans tout ce qu’elle avait de plus usé, mais aussi de plus charmant. Un portrait vivant de ces murs qui respirent, qui me parlent. J’espère qu’à travers ces clichés, vous voyagerez vous aussi dans cette ville si chère à mon coeur. 

 

Some oranges, a crack in the wall, a junk... Hong Kong will always have for me a specific scent, a special place in my heart. More colorful than Tokyo, busier than New York, this city inspires me more than anything else. 
Everybody knows the view
on Victoria Peak, this cityscape of great glassy buildings, modern and clean, but you have to go to Hong Kong to discover the little alleys between each of them. I will always fondly remember the butchers and the meat hanging on the streets, the night market in Mong Kok, but above all, the colors of every building. Many cities just look like concrete grey, while Hong Kong shines of all the colors of the rainbow, slowly fading. 
When I went back in 2016, I couldn’t just explore the typical
view points. I had to give my own vision of the Pearl of the Orient, in all its decrepitude but also how charming it all is. A living portrait of these breathing walls ; they are talking to me. I hope that through these few photographs, you will travel to this city so dear to my heart. 

Ouverture de la boutique, et concours pour gagner une photo ! by Adrien Le Falher

C'était l'étape logique après ce long voyage, et je suis heureux de vous dire que ma boutique de tirage en ligne est enfin ouverte ! 

Le papier est de toute beauté !

Le papier est de toute beauté !

Beaucoup de photos sont à vendre, toutes triées par lieu, genre, orientation et couleur, histoire que vous puissiez rapidement trouver votre bonheur ! 

J'ai mis du temps à ouvrir la boutique parce que je voulais être sûr de pouvoir envoyer de vrais oeuvres d'arts, des objets dont je pourrais être fier. C'est pourquoi j'ai d'abord testé et étalonné plus de 25 papiers photos différents, venant du monde entier, pour ne garder que le meilleur. Un papier beaux-arts Ilford absolument sublime, celui que Salgado a utilisé pour sa série Genesis, qui est probablement un des plus beaux tirage photographique que je n'ai jamais vu. 

Et puis il a aussi fallu que je vois toute ma chaîne de production : en effet, pour réduire le prix au maximum afin de rendre les photos plus abordable, j'ai du m'impliquer à fond, et tout faire moi-même. Ainsi, j'ai pu soigner la qualité à tout les échelons (je vous spoile pas tout, mais si jamais vous me passez une commande, vous ne devriez pas être déçus !), tout en gardant les coûts suffisamment faibles pour permettre de vendre les photos à un prix très raisonnable : pas cher oui, mais surtout, pas cheap ! 

 

Pour célébrer cette ouverture, donc, je commence par un concours : la première photo (de votre choix) est à gagner ! 

Partagez cette page et remplissez le formulaire ci-dessous.

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Vous n'avez qu'à partager le concours sur facebook, remplir le formulaire ci-dessous (et confirmer votre inscription avec le mail que vous recevrez), et c'est dans la boite ! Rendez-vous le 9 décembre. En attendant, n'hésitez pas à faire un tour dans la boutique ! 

www.adrienlefalher.tictail.com

How to deal with copyright infringement when it's for « a good cause » ? by Adrien Le Falher

In about one week will mark the anniversary of the most traumatic and violent piece of history in France in the last decades. The 13th of november 2015, several coordinated terrorist attacks took place in Paris, less than a year after the attacks against the newspaper Charlie Hebdo.

Still today, Paris feels different. Much like the 9/11 attacks, Paris now has this air of danger, still lingering, and the attacks are clearly in the heads of every Parisian.

The news of the attacks spread very quickly, and soon, artists and other celebrities began to express themselves on the topic. The first of them was David Beckham, on instagram and Facebook, with this picture:

As his post on Instagram was removed, here is a screenshot. 

As his post on Instagram was removed, here is a screenshot. 

 

Now, saying to pray for Paris is already a clear sign of the lack of understanding of the very secular culture of France, where we pretty much share the views of Anthony Jeselnik on the topic: it doesn't help much.

The truth is, David Beckham is not just a football player anymore, he's a celebrity, he's a brand. And as such, the value of his brand goes up with publicity. And to me, this was exactly what happened. Also, the sun is not rising on that picture, as every Parisian new: the picture very clearly shows the west side of Paris, and therefore the sun is setting.

And then, another thing struck me: the picture he was using was mine. He didn't contact me, he didn't ask if he could use it, and he actually cropped it, along with the copyright notice. Being the first one to react to the events, his words and my picture got published in several international newspapers: the dailymail, the mirror, several French magazines as well. They all published the picture, cropped, without any credit whatsoever.

This actually happened to me before, although not to that scale. What I usually do is I contact whoever is infringing copyright, ask for credit, and in the case of commercial use, payment. People don't always comply (or reply, for that matter), but some people do.

The day after the attacks, I was still hesitating on what to do: someone using a picture without my permission was absolutely NOTHING compared to what just happened. And yet, were it any other day, if someone used my picture for their gain, I would at least have asked for credit. So in the end, that's what I did: I left a comment (turns out you can't send him a PM) asking for credit, which of course never happened. I never even had an answer.

I felt disgusted. The credit, the infringement didn't matter. But someone using my picture, and terrorist attacks, for their publicity? And it worked, when you looked at the millions of likes, shares, and articles. I felt helpless, and in the end, let it go. In the scheme of things, it didn't mean much.

Dealing with art theft is usually pretty straightforward: thieves are wrong, you try to contact them and work with them for some kind of compensation. But this wasn't a regular day, and this wasn't regular infringement. And despite me not liking the message, you could say it was for “a good cause”. How do you deal with this? Is it the same thing as when Madonna used pictures with the artist's authorization?

Still today, the question itches. What would you have done? Do you think it was wrong of me to stand for my rights?

Livre photo Saal : un service excellent pour un produit qui ne convient pas à tout le monde. by Adrien Le Falher

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’obtenir de la part de Saal un bon d’achat de 40 euros pour tester leur produit.

Venant de finir la mise en page de mon livre/catalogue sur ma série ROYGBIV à Hong Kong, l’occasion était parfaite pour faire un test d’impression. 

J’ai choisi le livre au format 19x19, ayant prévu une mise en page carré pour le livre. Comme d’habitude pour les sites d’impression, la première étape fut d’envoyer le fichier. Deux solutions sont proposées : soit directement sur le site, soit à travers un logiciel dédié. N’étant pas fan des logiciels supplémentaires, j’ai opté pour l’envoi par le site. 

L’interface est simple et claire : on envoie un fichier pour la première et quatrième de couverture sur la même image, et d’autres fichiers pour les pages internes. Les photos peuvent être imprimées partout, dès la seconde de couverture, aussi il faut parfois prévoir des pages blanches. C’est ce que j’ai fait. L’interface du site permet de prévisualiser la mise en page du livre, ainsi que d’uploader des pages doubles directement. On peut aussi enregistrer son projet, afin de ne pas tout recommencer si ce dernier est long à mettre en place. En somme, beaucoup de bons points. 

J’ai cependant eu beaucoup de mal à obtenir un résultat satisfaisant en envoyant le PDF créé directement sur inDesign ; notamment, certaines polices à licenses ne s’affichaient pas (alors qu’elles s’affichaient quand le fichier était lu sur acrobat ou sur chrome), et les couleurs ne correspondaient pas toujours. Au final, un export en JPG haute qualité avec un profil sRGB incorporé m’a permis d’avoir le résultat que je souhaitais. Dommage cependant que le profil soit sRGB et non adobeRGB comme chez la plupart des imprimeurs, cela fait perdre de la latitude à certaines couleurs. 

L’envoi fut très rapide : en quatre jours, j’avais reçu le livre imprimé à Paris, dans son grand coffret (une option que le site propose pour un coût supplémentaire, un grand coffret en carton blanc ou noir). 

Le coffret donne un air relativement luxueux, cependant celui-ci n’est pas personnalisable. Ainsi, il n’est pas possible par exemple de faire imprimer, ou mieux, le faire gaufrer, si bien que si l’on utilise cette option pour plusieurs livres, ils ne seront pas reconnaissables dans leur boite. Dommage. 

 

Quand au livre lui-même, plusieurs choses m’ont gênées : 

La couverture tout d’abord. J’avais choisi une couverture molletonnée, pensant donner un aspect plus luxueux au livre. C’était une erreur : l’aspect presque bombée de la couverture, ainsi que le matériaux utilisé, me rappelait ces gros livres (souvent carrés, qui plus est), que l’on donne aux enfants en bas âge. D’autres amis ont bien aimé la couverture cependant, même s’ils voyaient où était le problème. 

Pour un livre de photo, j’aurais préféré pouvoir demander une dust cover, comme l’on trouve sur la plupart des livres photos que l’on trouve édité dans le commerce. Il aurait donné, à mon sens, un aspect plus sérieux au livre qui aurait été appréciable. Autre défaut, corrigé depuis : Saal apposait un petit code barre sur la 4ème couverture du livre, ce qui m’avait forcé à revoir le design de la couverture. Le petit code barre est maintenant optionnel. 

Venons-en aux pages intérieures : la reliure est de qualité, et comme il est indiqué sur le site, elle permet de poser les doubles page à plat, permettant une meilleure visibilité des photos imprimées sur une double page. C’est un bon point, trop souvent négligé. Cependant, le choix du papier m’a rendu perplexe : le choix est donné entre mat et brillant, et j’ai choisi pour ce tirage le papier mat. Ce que j’ai reçu malheureusement s’apparente plus à un papier lustré, c’est à dire semi-brillant avec une texture assez marquée, qui ne correspondait pas du tout aux photos, dommage. Autre point négatif, le livre étant imprimé intégralement sur du papier photo, les textes imprimés ont un aspect très curieux. Non pas qu’ils ne soient pas lisibles, mais il est finalement très rare de voir du texte imprimé directement sur du papier photo. Là encore, un choix supplémentaire de papier, comme une sorte de papier glacé un peu épais par exemple, aurait été judicieux, et aurait permis de se rapprocher d’un rendu que l’on trouve chez les éditeurs de livres d’art. Soyons juste cependant : l’impression reste de bonne qualité, ainsi que le papier, bien épais. Ma critique ici vient plus d’un ressenti personnel que d’un manque de qualité. C’est globalement le fil conducteur de cette review. 

Enfin, dernier problème, dont je suis le fautif mais que je tiens à partager : après avoir rentré manuellement les marges indiquées par le site internet sur inDesign, tout le design de mon livre a été rogné, couverture comprise. Saal propose des fichiers inDesign et Photoshop correspondant au nombre de pages de votre livre, et il vaut mieux les utiliser, pour être sur, et d’exporter les fichiers en incorporant les marges. 

Enfin, il faut que je parle du service client de Saal, probablement le meilleur que j’ai reçu d’une compagnie en ligne : réactif, précis, en français, toute mes questions ont été répondues rapidement. Mieux que ça, au vu de ma déception à la réception du premier livre, ils m’ont renvoyé un bon d’achat pour faire un second essai. 

Au final, il est difficile de fauter la qualité de Saal : les couleurs sont justes par rapport à un écran calibré, le travail est de qualité, les matériaux bons, et le site est relativement simple d’utilisation. Le problème, comme souvent dans les commandes en ligne, est de commander sans voir. Pour un objet aussi précieux et subjectif qu’un livre d’art, ce problème n’en est que plus grand. A ceux intéressés, je recommanderais de commander d’abord un échantillon de leurs différents matériaux, disponibles sur leur site. Pour un coût minime, il évitera quelques déconvenues. 

 

J'ai commandé une deuxième version du livre en changeant quelques paramètres. Je mettrais en ligne une mise à jour de cette review bientôt. 

 

« Thank you for your kindness », l’éthique dans la photographie de voyage. by Adrien Le Falher

Ma soeur est étudiante en photo-journalisme, et récemment elle me demandait des références sur l’éthique en photographie. Etant avant tout un photographe de paysage, les questions éthiques que je me pose habituellement ne sont pas forcément celles que l’on retrouve dans la photographie de journalisme ; je me demande s’il est éthique d’accéder à tel ou tel lieu, à le représenter comme je le fais, à populariser un lieu, et donc le rendre plus visible, plus touristique, et à contribuer à la destruction de son ambiance. 

Parfois, alors qu'on se retrouve seul dans des endroits magnifiques, on a envie de garder ces lieux rien que pour soi. 

Ce sont des questions qui me taraudent à chaque clichés que je prends, et je garde parfois pour moi certaines photos, ou je ne divulguent parfois pas complètement le lieu des photos que je prends, pour en garder ce qui fait leur charme : leur situation reculée, cachée… Combien de paysages m’ont bouleversés lorsque je les ai découvert, par hasard, après une heure de marche et de détours dans des petites bourgades sans noms. Ma vision, en tant que photographe, est presque celle d’un archiviste : je suis avant tout intéressé par la conservation des lieux, naturels ou non. J’enregistre, le plus parfaitement possible (au niveau technique), l’aspect des lieux que je visite, pour en garder des images précises, pour conserver un patrimoine mondial. Ansel Adams n’est pas uniquement un de mes modèles en tant que photographe : c’est grâce à lui que les parcs naturels nationaux existent aujourd’hui aux Etats-Unis, parce que ses photographies ont amené à sensibiliser les gens à la beauté de leurs terres, et à l’importance de leur conservation. 

Si ce travail a été fait aux Etats-Unis et en Europe, il y a encore bien des pays où la prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu. Les Philippines furent un exemple frappant : si le pays a bien mis en place une forme de parc naturel protégé (certains même adoubés par l’UNESCO), ceux-ci sont de vrais dépotoirs, à cause du tourisme mis en avant très fortement par les pouvoirs publics et leur campagne «  it’s more fun in the Philippines ». Malheureusement ce sont les Philippins eux-même qui participent à la destruction de leurs ressources naturelles ! J’en ai vu casser le corail à coup de marteau pour en ramener chez eux, noyer une tortue pour un selfie… Il y a clairement beaucoup, beaucoup d’éducation à faire… Et les philippins, comme dans tous les pays au niveau d’éducation faible, sont extrêmement impressionnables et sensibles aux images. Je pense qu’ici, la photographie de paysage a un rôle à jouer. 

Un autre exemple m’a convaincu de l’utilité de prendre des photos de paysages et de lieux « connus » : la destruction de Palmir par les terroristes de Daesh. Ce monument rappelait à une partie de l’Afrique à quel point leur culture était grande et ancienne, que l’obscurantisme n’était pas leur seule histoire, et bien sûr, c’est contre cela que se bat Daesh aujourd’hui. Le ministère de la culture, suite à la destruction du site archéologique, a cependant eu une démarche intéressante : un appel de dons de photographies a été lancé, pour reconstituer, à partir d’un grand nombre d’images, une représentation en trois dimensions de Palmir. Si le lieu est bien détruit, la photographie néanmoins nous aide à garder dans notre patrimoine mondial des lieux (naturels ou construits) qui font de nous des humains, des terriens. En cela je trouve la photographie de paysage éthique, et nécessaire. 

Voilà pour la partie sur la photographie de paysage. Il ne m’échappe pas néanmoins qu’il ressort de ma démonstration et de mes photographies un manque « d’humanité », d’émotions parfois peut-être. Je suis conscient de ce manque d’humanité, et de cet aspect très technique que je peux avoir dans mon approche de la photographie. C’est pourquoi je profite de mon voyage à travers l’Asie de m’essayer à un genre qui m’était jusque là complètement étranger : la photographie de portraits. 

Il y a deux raisons pour lesquelles je ne prenais pas les gens en photo auparavant : une raison personnelle, tout simplement ma timidité, qui m’empêche trop souvent d’interagir avec les gens, de s’approcher d'eux, de leur parler, et une raison éthique. Il y a, particulièrement dans la photographie de voyage, une question éthique assez épineuse à prendre les gens en photographie. Combien de fois n’a-t-on pas vu ces photos de « petits noirs trop mignons» dans les bras d’Européennes aux cheveux soyeux (ça fait plein de like sur Instagram !), de « vielles trop belles ! » parce que toutes ridées, alors qu’ici tout le monde s’enduit de crème hydratante (moi le premier). Il y a un côté malsain, presque néo-colonialiste, à ce genre de photographies qui ne me correspond absolument pas. 

Pierre Le Corf, à Alep

Pierre Le Corf, à Alep

C’est mon ami Pierre Le Corf, et son projet We Are Superheroes (que je vous conseille d’aller lire) qui m’a poussé néanmoins à aller voir les gens. Pas pour les prendre en photo, mais pour s’éloigner de la relation unilatérale et mercantile que j’avais avec la plupart des gens que j’ai croisé aux Philippines. Après plusieurs mois passés au Japon, les cinq semaines que j’avais pour traverser l’archipel me paraissaient bien courtes, passant de lieux touristiques en lieux touristiques, avec finalement très peu d’interactions avec ce qui fait les philippines d’aujourd'hui : les philippins. 

C’est lors d’un arrêt dans une ville sans aucun intérêt touristique majeur que j’ai pu enfin m’approcher de ce que je voulais. Aux alentours d’une rue, non loin du port, j’ai découvert derrière un marché aux poissons une sorte de village dans la ville, un dédale de ruelles et de toitures de tôles, des pilotis. Je m’y suis engouffré, avec mon appareil comme toujours mais sans l’intention de prendre des photos tout de suite. 

Qui croirait trouver, derrière ce marché emmuré, une ville dans la ville, pleine de vie ?

Qui croirait trouver, derrière ce marché emmuré, une ville dans la ville, pleine de vie ?

Ma présence ici faisait office d’évènement : clairement, aucun blanc ne s’était jamais aventuré jusqu’ici. Les gamins hésitaient à me suivre ou à courir devant prévenir les copains. J’étais alpagué de toute part, mais de façon bien plus sympathique que par les innombrables chauffeurs de tricycles. 

J’arrive à un moment devant des enfants qui jouent au ballon. L’un remarque mon appareil photo et prend la pause, me criant « Photo ! Photo ! ». Voulant profiter de cette possibilité de rapprochement, je cadre, et déclenche. Le bruit de l’appareil semble avoir résonné dans toutes les ruelles alentours, et en quelques secondes je suis encerclés par une bonne dizaine d’enfants qui veulent absolument que je les prenne tous en photo. Ils se bousculent, sourient, font la roue… Je reste plus d’une demi heure à les prendre en photo, à leur montrer. Ils explosent de rire chaque fois qu’ils voient leur bouille ou celle d’un copain. On engage un peu la conversation : d’où tu viens, qu’est-ce que tu fais ici, tu es photographe ? etc. Je les quitte pour le moment, mais un bon groupe continue à me suivre. 

Chloee, à gauche, et Diane, qui sera ma guide pour la soirée.

Chloee, à gauche, et Diane, qui sera ma guide pour la soirée.

Plus loin je rencontre une adolescente. Sa mère me voit (si ma couleur de peau me faisait ressortir, les cris des enfants derrière moi me rendent définitivement immanquable) et insiste pour que je prenne sa fille en photo. Cette dernière rie, se cache, puis me demande d’attendre, qu’elle puisse se changer. 

Je la vois clairement intriguée par ma démarche, elle me demande ce que je fais là, m’accompagne un bout du chemin. Nous regardons un bout d’un match de basket ensemble. Je la vois pianoter furieusement sur son téléphone, constamment. Je lui demande à qui elle envoie autant de message, j’ai l’impression de l’ennuyer, mais non : elle parle mal anglais et demande constamment à son ami de lui traduire ce qu’elle veut dire. Sa famille m’invite à boire et à manger. Nous partageons un soda et des lumpia de poissons. J’explique que je dois rentrer, et je vois dans son regard qu’elle voudrait que je reste, au moins un peu plus longtemps… 

Cette première expérience me confronte à mes hésitations et me rassure : pas de hiérarchie ici, de classe, juste deux cultures finalement curieuses autant l’une que de l’autre. 

De retour à Manille, j’ai envie de revivre ce véritable enivrement qu’a été cette première séance. Je décide d’aller plus loin : je veux aller voir les Smokey Mountains, le bidonville-décharge qui fait la malheureuse réputation de Manille. 

Dans le métro cependant, j’hésite. J’ai peur, bêtement, de me balader avec plusieurs milliers d’euro d’équipement avec moi. Je trouve ça absolument indécent, comme si j’allais voir la misère pour me sentir mieux, une expérience rapide dont je peux sortir en dix minutes de jeepney. 

J’aperçois à travers les vitres du métro aérien des bas immeubles un peu vétustes qui me rappellent l’ambiance de la ville de pêcheur, et décide de m’y engouffrer d’abord. Là encore, enfants et adultes posent, me demandent que je les prenne en photo. J’essaie d’échanger avec un peu tout le monde, refuse un peu gêné plein de boissons qu’on me tend… Si je me fais remarquer, je ne me sens pas particulièrement déplacé d’être ici, tant les gens sont enthousiastes de me voir ; les gens sortent de chez eux juste pour m’échanger un sourire, on sort le dernier né pour qu’il me fasse un coucou… L’ambiance est agréable et je me sens à nouveau très bien, euphorique de ces centaines d’échanges, de rires et de sourires. 

Dans une des dernières ruelles, un groupe de dames un peu plus âgées que les autres est assis. Elles me voient prendre quelques photos en arrivant, et je leur fais un sourire, en passant. « Et alors ! nous aussi, non ? » Les grands mères sont finalement bien cabotines, et je les photographie aussi, m’arrête un moment leur parler. Alors que je m’apprête à partir, la moins bavarde d’entre toute me lance : «  Thank you for your kindness. » Cette réflection me fait m’arrêter quelques secondes. J’avais bien échangés des sourires, ris avec les enfants, mais je n’avais finalement pas compris. 

Cabotines !

Je ne peux me défaire, quoiqu’il arrive, de position d’étranger, mais d’étranger blanc, voyageur, riche. Mais je peux décider d’être plus qu’un touriste, un consommateur des ressources des pays que je traverse. Ce jour là, j’ai compris que prendre tous ces gens en photos, leur accorder du temps, de l’attention et de la douceur, c’était entériner leur dignité. 

Quelle leçon me traverse alors. Quelque chose de simple mais de si pur, de parfaitement évident mais qui vous change, un peu mais définitivement, le jour où vous le sentez dans vos tripes : cette vision des milliards de vies et de destins différents, de points de départs variés, mais d’une dignité commune, d’une légitimité de chacune de nos vies sur cette terre, et de sa sainteté, qui que l’on soit. A entendre les informations tous les jours j’ai presque l’impression qu’on l’oublie, que c’est un concept dans un coin de nos têtes. 

La vie est faite ainsi et tout le monde peut le comprendre : nous vivons tous dans nos propres cercles, entourés de gens qui partagent nos cultures, nos valeurs. Nos relations, au niveau mondial, sont de grands diagrammes de Venn qui ne se croisent peu. Psychologiquement, nous ne pouvons concevoir, avoir de l’empathie pour toute la misère du monde, chacun porte déjà son propre fardeau, ses propres préoccupations. Mais tout de même, parfois, cette piqure de rappel a du bon. 

Elle eu un effet complètement libérateur sur moi : j’avais résolu ma question éthique. Je n’allais pas dans ce bidonville par voyeurisme malsain, mais au contraire presque investi d’une mission, d’un devoir, à ma toute petite échelle. Qu’importe de ce que deviennent les photos, qu’elles soient vues, ou pas. Mais toute cet après midi, mon objectif braqué sur des centaines de visages, j’ai essayé de rappeler aux gens tout ce qui faisaient qu’ils étaient beaux et dignes et égaux à moi et à tous les autres, même si mes vêtements pouvaient être plus propres (quoique…), même si ma vie pouvait sembler être aux antipodes des leurs. Une grand mère m’a tenu la main pendant 10 minutes pour m’amener à son petit fils, né légèrement difforme, pour que je le prenne en photo. Elle le tenait dans ses bras, pleine d’amour, elle voulait partager cette amour et que je lui donne, par un bruit d’obturateur, une importance supplémentaire. Elle pourra lui raconter, j’espère plus tard, qu’un français avait fait tout ce chemin pour venir le prendre en photo, comme tous les autres enfants autour de lui, et j’espère qu’il comprendra qu’il vaut autant que tous les enfants autour de moi, partout. 

J’ai résolu ma question éthique, et elle tient en un mot : la dignité. Soyons éthique, en photographie et ailleurs, en respectant, en relevant la dignité de chacun. Donnons des sourires à ceux qui nous les rendent et à ceux que ça interpelle, et rappelons à tous ceux que l’on croise : « tu vaux autant que moi ». 

FRENCH - De la neige dans un désert by Adrien Le Falher

Cet article est aussi à lire sur Medium.

On mesure la qualité d'un voyage, et donc de la vie, à sa capacité à nous surprendre.

Après deux mois assez exceptionnels à Kyoto, une des dix villes où il vaut la peine d'avoir vécu (dixit Nicolas Bouvier, 50 ans plus tard, je confirme), nous nous faisions la remarque, sur le chemin tentaculaire qui nous menait à Hiroshima, que la suite serait plus calme. C'est bien dans ces moments là que le meilleur se prépare à surgir.

Nous mîmes trois jours à atteindre Hiroshima, deux escales étant prévues sur la route.

En premier lieu, Kinosaki, une ville perchée dans les montagnes, au Nord de Kyoto. Connue pour ses onsen, ces bains thermaux typiquement japonais, elle nous promettait une pause agréable dans ce long voyage.

Le chemin, dans ce train minuscule, nous a conduit à travers la campagne japonaise, celle qu'on ne voit que rarement, parce que sans charme à qui ne serait le voir. Et pourtant… Dans ce défilement de petits villages, de rizières comme autant de jardins derrières ces maisons japonaises, une harmonie fugace ce forme. Tout se mélange, et on se laisse pénétrer par le charme tranquille de ces bourgades, à la fois exotiques et familières. Le train se vide, nous restons seuls dans le wagon.

Kinosaki nous accueille par un déluge de pluie qui ne cessera pas de la nuit. Vêtus de traditionnels yukata, ces kimonos de cotton léger habituellement portés pendant les festivals d'été, nous participons au jeu de la ville, la visite des sept onsen principaux. Nous en ferons quatre, se baignant tantôt dans une grotte, au pied de la montagne où le cours d'eau se jette directement dans le bassin, ou dans un jardin japonais.

Le lendemain matin, toute la ville est recouverte d'un manteau de neige qui ne cesse de s'épaissir. Un dernier bain naturellement bouillant nous réchauffe, avant de reprendre le train pour Tottori, où nous attendent des dunes de sable dont j'ai entendu parler quelques jours plus tôt.

 

 

Tottori Train by Adrien Le Falher - 2.png

Le train fend la neige et traverse les montagnes, découvrant entre les tunnels des maisons en bois au toit poudreux. La mer est déchainée et vient s'exploser contre la côte. Le paysage est dramatique, comme extra-terrestre. Nous restons hallucinés, le nez collé à la vitre, pendant tout le voyage.

L'arrivée à Tottori en revanche se fait sous un grand soleil, même s'il y fait très froid. Débarrassés de nos sacs, nous sautons dans le premier bus pour ce désert que me fait tant rêver. J'ai deux passions : les déserts et les îles, c'est dire si le lieu avait de quoi m'attirer !

La météo nous a donné du fil à retordre : un froid qui nous a congelé, un vent terrible, qui nous donnait l'impression tour à tour de faire du sur place ou de nous envoler. Prendre des photos dans ces conditions était particulièrement difficile, mais l'occasion était trop belle… Mais si le temps ne nous était pas vraiment clément, le paysage devant nous dépassait nos espérances.

La montagne d'un côté, la mer de l'autre, et entre les deux, ces dunes, sculptées par le vent violent. Au-dessus de nous, un ciel menaçant, et par moment, le soleil, qui perçait les nuages.

Savoir gérer l'attente, surtout dans le monde d'aujourd'hui où tous les guides, les sites internets sont illustrés de magnifiques photos, toutes prises au bon moment, à la bonne saison, etc, est probablement un des plus gros défi du voyage. On ne traverse pas le Japon d'une côte à l'autre sans se dire qu'il n'y a rien à voir, mais l'attente est le premier ingrédient de la déception. Je pense que c'est aussi une des leçons de vie qu'il faudra garder de ce voyage : trouver l'énergie, la raison d'avancer, tout en acceptant le résultat, qu'il corresponde à nos espérances ou pas. Dans un métier comme le mien, où l'on passe son temps à monter des projets, à rêver des aventures, il me semble que c'est une leçon essentielle pour tenir ; savoir à la fois donner tout de soi à son projet, et vivre avec le résultat, en tirer quelque chose.


Après une nuit passée dans un manga café, étonnamment confortable, 10 centimètres de neige nous mouillent les jambes. Après le ciel couvert mais sec de la veille, une nouvelle visite du désert, sous la neige, s'imposait.

Le vent était toujours aussi pénétrant et glacial, mais le paysage avait changé. Le jaune du sable se mêlait avec le blanc de la neige, créant un paysage encore plus étranger, plus unique que la veille.

Les sillons de neige formaient des formes sinueuses, comme une rivière, qui disparaissait, se fondant littéralement dans le sable.

"On ne va jamais croire que je n'ai pas retouché mes photos !", dis-je à Cerise.

Mais le paysage était bien là : cette juxtaposition des éléments improbable, ces dunes bicolores, et toujours ce ciel, à moitié nuageux, qui éclairait le tout d'une lumière magnifique. Je laisse mes derniers mots à une image.